Au cours du processus évolutif entamé il y a plus de 3,5 milliards d'années sur Terre, les êtres vivants ont développé la capacité d'associer des éléments minéraux à des molécules organiques pour former des structures minéralisées rigides. Ce phénomène, désigné sous le terme de biominéralisation, est responsable de la création des plaques calcaires chez les algues unicellulaires, des squelettes externes d'invertébrés, ainsi que du squelette des vertébrés. La capacité du vivant à influencer la cristallisation des minéraux est remarquable.
Les animaux, les plantes, les champignons et les bactéries produisent environ 70 types de biominéraux différents, amorphes ou cristallins, répartis dans 55 phylums, principalement à base de calcium. Parmi les plus répandus figurent le phosphate de calcium (CaPO4), le carbonate de calcium (CaCO3) et la silice (SiO2). [1]
Les structures minéralisées remportent un succès inégalé en offrant une diversité de fonctions telles que le soutien mécanique, la protection, la défense contre les prédateurs et les contraintes environnementales. De plus, elles présentent des caractéristiques moins évidentes, comme des propriétés optiques, une contribution à la nutrition et à la reproduction, des réserves ioniques pour le métabolisme, ainsi que la régulation de l'équilibre et de l'orientation spatiale grâce à la perception de la gravité ou du champ magnétique.
Chaque espèce exerce un contrôle biologique strict sur le processus de biominéralisation, se manifestant par la diversité des formes et des compositions des structures, notamment dans le cas du calcium. Les organismes vivants produisent des molécules spécifiques qui lient ce minéral à des macromolécules telles que des protéines acides, des polysaccharides et des lipides. Ces macromolécules jouent un rôle essentiel dans la plupart des processus minéralisant impliquant le calcium, notamment dans l'attraction électrostatique des ions calcium, la nucléation cristalline, la modification des formes cristallines et les mécanismes d'inhibition cristalline. [2]
Le pionnier dans la description des processus de biominéralisation fut Robert Hooke dans son ouvrage Micrographia (1665). Plus tard, l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert présenta de nombreux schémas de biominéralisations. Cependant, la première étude véritable de la fraction organique des os et d'autres biominéraux fut attribuée à Frémy, un Français, dans un article publié en 1855 et intitulé "Recherches chimiques sur les os". [2]
Les biominéralisations se caractérisent souvent par leur nature composite, comprenant une fraction minérale et une fraction organique. Par exemple, l'os est une biominéralisation avec une fraction organique relativement importante, environ 30%, principalement composée de collagène (95%). Sa macération prolongée dans de l’eau bouillante génère de la gélatine. Frémy trouva également de la chitine dans l’os de seiche et dans la plume de calmar, il constata sa ressemblance avec la cellulose. Il observa qu’il est curieux de retrouver la même substance non azotée chez les crustacés, les insectes, les mollusques et les zoophytes (= pennatules) ; la chitine ne se trouve jamais dans les os des vertébrés. [2]
Enfin, à partir de coquille de mollusques, Frémy mit en évidence une substance ayant une grande analogie avec « la matière organique qui constitue l’axe corné des gorgones ». Cette substance, il la baptisa « conchyoline ».
La discipline émergente de la "biominéralisation" a bénéficié des progrès réalisés au XXe siècle dans les techniques de séparation des protéines, notamment la chromatographie et l'électrophorèse. Le concept de matrice, considéré comme une étape fondamentale dans l'histoire de la biominéralisation, implique une structure cohérente où chaque composant participe à la formation d'une structure finale aux propriétés distinctes. La matrice organique associée aux biominéralisations joue des rôles clés dans la solidité structurelle, la précipitation minérale, l'architecture et la signalisation cellulaire. On pressent donc que le concept de matrice minéralisante renvoie directement au concept d’émergence. [2]
Deux grandes catégories de processus de formation des structures minéralisées sont distinguées : les minéralisations biologiquement induites et les minéralisations biologiquement contrôlées. Cette dichotomie s’est substituée à celle opposant les biominéralisations « squelettiques » regroupant toutes les structures minéralisées de soutien (coquilles, tests, cuticules, frustules, etc…), à celles qui ne le sont pas (les statolithes, les otolithes, les structures de stockage calcique, les oogones de charophytes, les coquilles d’œufs)Ces deux catégories reflètent une réalité physiologique, biochimique et évolutive fondamentale, abordant la biominéralisation d'un point de vue moléculaire. [3]
Les minéralisations biologiquement induites sont apparues plus tôt, à l’Archéen inférieur autour de 3.5 Milliards d’années. Elles comprennent des structures organo-sédimentaires telles que les stromatolites formées par l'activité photosynthétique de cyanobactéries. À l'inverse, les minéralisations biologiquement contrôlées, plus tardives, se manifestent à la limite Protérozoïque/Cambrien, représentant l'un des aspects les plus marquants de la fameuse « explosion Cambrienne », en tout cas, un des aspects les plus visibles de cet évènement. [3]
Fig : Diversité de micro-organismes avec exosquelettes biominéralisés
Parmi les minéralisations biologiquement induites, on trouve la plupart des productions minérales d’origine bactérienne, telles que celles résultant de l’oxydation du fer ou manganèse, ou les minéralisations calcaires de type stromatolithique ou mud-mounts. Les minéralisations pathologiques font aussi partie des minéralisations biologiquement induites. En effet, elles sont produites de manière accidentelle, non contrôlées par l’organisme.
Quant aux minéralisations biologiquement contrôlées, elles rassemblent la plupart des minéralisations non pathologiques produites par les métazoaires. Elles comprennent également de nombreuses et importantes (quantitativement) minéralisations produites par des protistes : tests calcaires des foraminifères, coccosphères des coccolithophores, tests siliceux des radiolaires, des diatomées ou des silicoflagellés. [3]
Les critères permettant de différencier les biominéralisations induites et contrôlées comprennent la synthèse active des biominéraux, l'implication d'une machinerie cellulaire dédiée, les différences d'habitats cristallins, le confinement spatial du processus, et le rôle central de la matrice organique dans le contrôle de la biominéralisation. [3]
La calcification de la coquille des mollusques, c'est-à-dire le dépôt de cristaux de carbonate de calcium dans une matrice organique de nature protéique, provient de la cristallisation du calcium extra-cellulaire. La minéralisation s'effectue au niveau du manteau qui recouvre la surface interne de croissance de la coquille et qui utilise le calcium dissous dans l'eau intervalvaire. Dans la coquille des mollusques le carbonate de calcium se trouve sous trois formes cristallines : calcite, aragonite, vatérite. La coquille des huîtres étant principalement formée de calcite. [4]
Fig : Microstructure des couches minéralisées chez le Nautile
Le manteau des huîtres est en nacre, constituée d’aragonite et de conchyoline. Chez l’huître perlière, il est capable de produire une perle en secrétant de la nacre. La nacre est une formation coquillière très étudiée en raison de son intérêt économique en perliculture et de son utilisation comme substitut osseux en chirurgie réparatrice. Les huîtres perlières produisent en effet naturellement des perles, en réponse à l’introduction d’un corps étranger dans le manteau pour l’isoler : un parasite, parfois un grain de sable. [1]
Fig : huitre avec manteau interne nacré et perle de nacre
Les coquilles en général sont sensibles aux paramètres environnementaux, notamment à l’acidification des océans qui peut engendrer l’incapacité à construire leurs protections et impacter entièrement l’écosystème. Cependant, l'analyse géochimique des biominéralisations permet également de reconstituer ces paramètres environnementaux au moment de leur dépôt, offrant des informations sur les conditions climatiques et la composition chimique de l'eau à des périodes très reculées (plusieurs millions d’années) de l’histoire de la Terre est possible. [1]
L’étude des biominéralisations connait un essor en raison de ses nombreuses applications dans les domaines de la santé humaine (ostéogenèse, pathologies osseuses et dentaires, chirurgie orthopédique...), de la science des matériaux (éléments de protections (casques de vélos, gilets pares balles), isolant pour bâtiments, véhicules plus résistants et légers, etc…)) ou des nanotechnologies. L’utilisation en joaillerie de certains biominéraux à haute valeur marchande, comme le squelette axial du corail rouge ou la nacre des mollusques, doit s’accompagner d’une gestion mesurée des ressources naturelles.
- [1] Les biominéralisations, témoins de l’évolution du vivant https://borea.mnhn.fr/fr/biomin%C3%A9ralisations-t%C3%A9moins-l%E2%80%99%C3%A9volution-vivant
- [2] Biominéralisation de la coquille des mollusques : origine, évolution, formation https://biogeosciences.u-bourgogne.fr/wp-content/uploads/2009/06/2009_hdr_marin.pdf
- [3] Processus de biominéralisation de la Nacre chez l’ormeau https://www.theses.fr/2018SORUS160
- [4] Formation des chambres dans la coquille de l’huitre plate https://archimer.ifremer.fr/doc/00000/1836/